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Interstellar, American business.


Pour qui n’a pas encore vu le film, article fortement déconseillé.


Spoiler en vue…


Interstellar suscitait bien des attentes. La première, celle de redonner voix au chapitre au space-opéra, mais bien plus encore. Lui rendre souffle, voire une nouvelle dimension… Même si, depuis son dernier Batman, je me méfie de C. Nolan, capable du meilleur ( Inception ) comme du pire (dark knight), j’ai abordé le film sans trop de préjugés.


En matière de dimension, retenons surtout le temps. Presque 3 heures, c’est bien, c’est culotté, c’est militant. Encore faut-il les remplir ! Nolan y parvient sans problème. Quoique : le problème, c’est peut-être avec quoi.


La mise en place est longue, mais nécessaire à l’intrigue, indispensable surtout à justifier une fin qui sinon, prêterait à rire.

Nolan assoit bien son mélo, si bien même qu’à la fin, il nous offre un bon… mélo.

Oui, j’ai trouvé le film émouvant, mais l’émotion ne provient pas forcément d’où on l’attend, de l’histoire d’amour entre un père et sa fille.

L’émotion se tapit plutôt dans « l’étoffe des héros », dont Interstellar reprend les codes. Le dévouement à la cause, l’abandon de l’égo au profit du bien commun, l’héroïsme, le vrai… voilà le vrai thème du film, central.


Là également se cache le plus gros défaut du film. L’américanisme primaire propre au cinéma américain. Et contraire à l’idée même que tente d’inculquer le film.

En vrac :

  • la Nasa a été démantelée, mais elle renait de ses cendres avec des bouts de ficelle ; presque dans un garage ; trop forts, ces américains !

  • Elle décide d’envoyer des hommes dans l’univers en quête de nouvelle terre d’asile pour l’Homme. La Nasa n’a pas de quoi se financer, mais pas question de penser à un montage international pour sauver l’humanité ! À croire que le jeu n’en vaut pas la chandelle. On n’envoie que des astronautes, américains de pure souche ! Les chercheurs aussi, sont 100 % made in USA. Ils ne vont pas demander conseil ou soutien à leurs petits copains européens, asiatiques ou russes.

  • Néanmoins, tous les personnages impliqués insistent bien sur le caractère désintéressé, voire missionnaire de leur travail. Ils agissent pour la survie de l’espèce, pas pour de quelconques intérêts égoïstes, corporatistes, ou nationalistes.

  • Ce qui m’amène à la fin du film : une femme implante une nouvelle colonie dans un autre système solaire. (la nouvelle Ève, soit !) Bien sûr, elle est américaine. Et comble du comble, elle n’oublie pas de faire flotter le drapeau étoilé sur la nouvelle colonie. Il n’y a que les américains pour avoir chevillé au corps ce réflexe méprisant et stupide de vouloir à tout prix revendiquer le sauvetage de l’humanité. En l’occurrence, le film ne parle pas de recréer une nouvelle humanité à partir de rien, mais de la conformer sur le seul modèle qui vaille aux yeux des américains : le modèle… américain. Pathétique !

  • Même au niveau anecdotique, Nolan m’a fait grincer des dents : les Indiens sont trop cons, ils coupent les crédits de l’armée en oubliant des drones en vol. Quel gâchis ! Les américains sont pragmatiques, eux : ils ont l’idée de les récupérer pour les réduire en pièces détachées. On les reconnaît bien là : de vrais écolos en puissance, nos disciples de Monsanto.


D’un point de vue scénaristique, je passe sur l’aspect scientifique. Ce n’est pas le propos du film, n’en déplaise au réalisateur.

Nul n’ayant jamais mis le nez dans un trou noir (précisons : trou noir galactique, pour les esprits scabreux), Nolan avait carte blanche pour la fin, et le plongeon dans l’inconnu. Le visuel de la scène au coeur du trou noir fonctionne parfaitement bien.

En revanche, la vision par les astronautes depuis la navette… Le visuel est joli, mais pas du tout conforme aux connaissances scientifiques établies, pourtant, depuis 1979. Je vous renvoie ici :

http://blogs.futura-sciences.com/luminet/2014/11/01/interstellar-trou-noir-hollywood-1/


Plus grave dans un film qui se revendique scientifiquement documenté : prétendre que des humains seront un jour capable de générer un trou de ver. Là, j’avoue que j’ai du mal à passer le cap. L’à-peu-près scientifique, comme l’apparition spontanée d’une singularité, on peut l’envisager sans problème, mais les humains capables de remodeler l’univers comme on creuserait une colline au tractopelle, il n’y a encore une fois que des américains pour fantasmer sur le sujet. En tout cas, dans le cadre d’un scénario jouant sur le réalisme scientifique. Ici, pas question de monde virtuel à la Matrix, où tout serait possible.

D’autres détails confirment que le propos du film n’est résolument pas scientifique.

Par exemple, quelle idée de choisir le maïs comme ultime culture ! Une des plantes les plus gourmandes en eau, maintenue en plein désert quand toutes les autres céréales ont disparu ! Le mildiou ? Vin diou ! Monsanto a dû menacer la prod de lui faire un procès… Ah, la science (et l’art) subventionnée par l’industrie !

Et cette voiture qui fonctionne encore avec un moteur à explosion ? Avec, s’il vous plait, une antique boite de vitesse ! Bon d’accord : le symbole de la passation de savoir… Le réa a bien appris sa leçon de cinéma, il connaît les règles d’un bon scénario hollywoodien. Mais il semble ignorer qu’on peut (qu’on doit même) prendre des initiatives en SF. Quitte à tomber dans le ridicule, autant qu’il colle au contexte.


Pour revenir sur le scénario, j’ai déjà évoqué l’aspect nationaliste qui à lui seul, rend l’histoire naïve, voire grotesque. Même dans Armaggeddon, si je ne m’abuse, les américains n’étaient pas seuls au départ. Même si, comble du comble, le président américain en personne se chargeait de sauver le monde. Quand je pense qu’on critique Poutine, pour son culte de la propagande…


J’aimerais m’arrêter là, mais…


c’est pas fini.


En accédant au trou noir, l’astronaute regrette d’être parti, de s’être engagé dans ce qu’il réalise être une impasse. Il s’envoie donc logiquement un message à travers le passé, que sa fille captera : RESTE.

Et deux secondes plus tard, il envoie les coordonnées de la base de la Nasa, pour qu’il PARTE quand même ! Certes, entre temps, il reçoit une révélation : ce sont les humains eux-mêmes qui pilotent le trou noir et sa vision du passé. Inspiration divine ?


Autre drame à mes yeux : la fin. Le trou noir recrache notre homme… dans l’orbite de Saturne. Pourquoi pas ? Et tant qu’on y est, directement dans la station orbitale où vit désormais ce qui reste de l’humanité.

L’humanité qui, notons-le, a finalement réussi à survivre hors de Terre, sans avoir besoin de planète d’accueil. Donc, c’était ça le plan B ?


Là, les problèmes s’accumulent. D’une part, l’idée centrale du scénario est bouclée quand le personnage principal se sacrifie pour la survie de l’espèce. Il efface et répare les égarements et faiblesse du docteur Mann, et agrandit l’Homme par son choix. Il suffisait de conclure sur la nouvelle colonie, et la fin était parfaite.

Mais là où Gravity assume jusqu’au bout son scénario, et maîtrise son intrigue, Interstellar commet l’erreur de balayer son propre choix en voulant rajouter une confrontation père-fille totalement inutile, puisqu’elle a déjà eu lieu à travers l’écran gravitique du trou noir.


Outre le ridicule du dialogue entre le père et sa fille («laisse-moi avec ma famille» ! Son père n’est pas sa famille ? Toute sa vie, elle l’a recherché, et au moment des retrouvailles, « dégage ! » ?), un dialogue parmi un tas de gens qui ne sont pas du tout impressionnés par la présence d’un homme qui a traversé l’univers et voyagé à travers un trou noir, voilà que la fille incite son père à voler à la rencontre d’une femme dont elle suppose qu’il l’aime sans jamais avoir obtenu un seul retour radio de l’aventure se déroulant à des années-lumière de la Terre !

Donc, parce qu’un homme et une femme ont voyagé ensemble en vase clos (ils étaient trois hommes au départ), ils doivent faire leur vie ensemble ? Même le spectateur n’a rien soupçonné d’une idylle susceptible d’aboutir dans le film, mais la fille du pilote, elle, perçoit un amour latent.


Bref, le brave homme abandonne sa fille sur son lit de mort, et là… Il vole une navette en carton pour rejoindre ma copine à l’autre bout du cosmos. Plus besoin de station avec anneau de gravité centrifuge ni de caisson de cryo pour accomplir un voyage aussi gigantesque. Non : un pousse-pousse de l’espace suffit !

Je vois : la science a évolué en quelques décennies d’absence relative. Mais alors, qu’attendaient-ils, ces humains en exil autour de Saturne, durant toutes ces années, pour rejoindre les pionniers ? Pour au moins leur envoyer un messager ?

Si Nolan tenait à cette fin, aux retrouvailles supposées du père et de sa fille, pourquoi pas ? Mais dans ce cas, il suffisait que la mourante convie son père à se joindre à la migration générale sur le point de commencer vers la nouvelle colonie, en espérant qu’elle ait abouti sur un monde viable, car à ce moment précis, personne ne sait encore ce qu’il en est.


Vous l’aurez compris : Interstellar est loin du chef d’oeuvre annoncé. Suscitera-t-il des vocations ? Celle, je l’espère, de voir d’autres films de SF bien plus inspirés, tels 2001, Cloud Atlas («cartographie des nuages»), Alien ou même T2…

Malgré tous ses défauts, Interstellar n’en reste pas moins un bon divertissement blindé d’effets bluffants et doté d’une bande son très efficace (merci Hans Zimmer), et qui rend hommage aux pionniers (Dans ce domaine, je recommande vivement « l’étoffe des héros », dans un genre différent puisqu’on sort de la SF).

L’expérience dépayse, procure de bonnes sensations (par moments, on se croirait presque dans l’espace). Dommage que l’ensemble manque autant de maîtrise. J’attendais vraiment mieux du réa d’Inception.


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